Magick


Au début des années 70, influencés probablement par quelques substances, certaines personnes prenaient conscience d’une autre dimension. Les Beatles partaient méditer en Inde. Plus près de nous, Raôul Duguay chantait : «Tu marches au fond de toi et derrière tes pas Et tu ne bouges pas, seul ton regard avance»

J’avais lu plusieurs livres sur la spiritualité ; L’Aventure de la conscience, de Satprem (le plus important, racontant l’expérience de Sri Aurobindo et de la Mère), ainsi que bien d’autres, dont ceux de Carlos Castañeda, décrivant l’enseignement du sorcier Yaqui Don Juan. De ces nombreuses lectures, j’avais conclu qu’elles enseignent toutes la même chose : la nécessité de vivre au sommet de sa conscience et de s’abandonner à une force supérieure. Seuls la mythologie et les rituels étaient différents. Mais ceux-ci ne sont que des aide-mémoire.
Parmi ces livres, Magick d’Aleister Crowley avait retenu mon attention (bien qu’à chaque fois qu’on évoque Crowley, on ajoute : «cet auteur est controversé»).

Voici comment Wikipedia décrit Magick :

«Le terme de Magick désigne un système magique utilisé par Aleister Crowley. Dans son sens le plus large, il peut s'agir de tout acte réalisé de façon intentionnelle dans le but d'obtenir un changement. L'ajout du « k » en fin de mot fut popularisé durant la première moitié du XXe siècle par Crowley lorsqu'il en fit la pièce centrale de son système mystique, dénommé Thelema. (…) Crowley voyait la Magick (magie) comme la méthode essentielle afin d'atteindre la véritable compréhension de soi et d'agir selon sa véritable volonté. La magie peut être définie comme tout acte visant à obtenir un effet désiré. Il différencie deux systèmes complémentaires et indivisibles, la mystique qui permet à l'Homme d'élever sa conscience au niveau des entités spirituelles ; et la Magick, qui est l'art d'entrer en contact avec ces dites entités. Mais sans mystique, pas de magie. Pour Crowley, la pratique de la Magick doit essentiellement être utilisée afin d'atteindre à la connaissance et à la conversation avec son saint ange gardien, le Dæmon des néoplatoniciens, la partie divine qui est au-dessus de nous, notre Dieu — ce que l'Aube dorée nomme le « génie supérieur ».

À l’été 1973, je venais d’acquérir Jean-du-Sud et dès l’automne, avais mis le cap sur les Antilles. Au retour le printemps suivant, à l’occasion d’une escale dans une caye des Exumas, venu me rafraîchir dans un petit bar, j’avais vu à la table voisine quelqu’un montrer à ses amis comment on pouvait tisser un poisson et un oiseau dans une palme de cocotier. Fasciné, je l’observais discrètement et à son départ, il les avait laissés sur la table. Je m’en étais aussitôt emparé et revenu à bord, j’avais réussi à défaire et refaire l’oiseau, mais n’avais jamais réussi à refaire le poisson, pourtant beaucoup plus simple.

J’avais suspendu l’oiseau à la main courante à l’intérieur du bateau (en guise d’aide-mémoire) et décidé de m’abandonner à son pouvoir Magick. Peu de temps après mon retour des Antilles, celui-ci s’était manifesté de façon très tangible : cette croisière de six mois m’avait laissé un gros ver dans la pomme et je voulais repartir. Mais je devais encore une bonne partie de l’argent que la Banque Royale du Canada m’avait avancé pour acheter Jean-du-Sud. Suite à une petite erreur du banquier, je n’ai pas eu à tout rembourser.

J’avais été jusque là un honnête garçon et j’avais mauvaise conscience ; j’hésitais encore. Ayant entendu parler d’une personne qui arrivait de l’ashram de Sri Aurobindo et avait connu la Mère, j’avais sollicité un entretien pour lui demander conseil, assuré que son opinion serait bien inspirée. Au cours de la conversation, il était apparu que si je voulais vraiment m’occuper de mon âme, je pourrais très bien le faire sur mon bateau et que la somme des avantages dépassait de loin celle des inconvénients. Pour bien nous en assurer, elle m’avait proposé de faire appel à cette antique technique chinoise qu’on appelle le Yi King et qui « permet à l’homme de pénétrer l’énigme de son destin et nous entraîne, au-delà de toute théologie comme de tout système philosophique, à un degré de profondeur limpide où l’oeil du coeur contemple l’évidence du vrai » (Etienne Perrot - auteur de la préface -, Yi King, Le Livre des transformations). À chaque question posée, la réponse fournie par la combinaison des hexagrammes ne laissait aucune ambigüité : Pars! Vas-y ! Ne crains rien ! C’est là ta voie…! »

Pour repartir, j’avais dû faire en quelque sorte voeu de pauvreté. Toutefois, je n’ai jamais manqué de l’essentiel et ai pu à chaque été recevoir mes deux filles à bord pour les vacances scolaires.

Après quelques années de croisière des deux côtés de l’Atlantique, j’ai senti que Jean-du-Sud avait besoin d’un défi plus consistant à se mettre sous la quille. Mais naviguant en solitaire, je ne pourrais pas rester rivé à la barre : il me faudrait un appareil capable de maintenir mon bateau au cap, même dans les mers les plus difficiles. J’en avais déjà bricolé deux qui m’avaient bien servi, mais ils n’auraient jamais résisté aux mers de l’océan Austral. Après l’équivalent d’un an de recherche sur le design, je n’avais toujours pas trouvé. J’avais alors adressé une demande (pensée, prière) à l’Oizo-Magick : il y a suffisamment de temps que je cherche, il serait peut-être temps que je trouve !»

Moins d’une heure plus tard, la solution, très simple, m’était venue.

Du sommet de ma conscience, je ressentais le besoin impérieux de partir sur la mer, seul et pour longtemps. La coque de mon bateau serait assez solide pour résister à l’océan Austral, mais ni son mât, ni ses voiles, sans compter tout le matériel additionnel qu’il faudrait. Sans un sou, comment matérialiser tout cela ? Simplement me demander : «Qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui pour permettre à ce projet de se réaliser ?» Dès que je considérais le problème dans son ensemble, en tenant compte de l’ampleur du projet et du peu de moyens dont je disposais, j’étais découragé et tenté d’abandonner. Alors je faisais l’effort conscient de ne pas anticiper, de n’affronter les problèmes que lorsqu’ils se présentaient et de les solutionner du mieux que je pouvais.

Et j’ai pu repartir ; Jean-du-Sud et l’Oizo-Magick raconte la suite.

Qui avait dit : «Aide-toi et le Ciel t’aidera» ?